Nous venons de terminer un chantier d’agencement avec le cabinet d’architecture Grand 8. C’est l’occasion pour nous de partager ici un petit récit de cette fabrication ainsi que quelques réflexions.
Nous avons réalisé une cuisine et un garde corps, les deux venants s’intégrer autour de l’escalier que nous avions fabriqué quelques mois plus tôt. Le client, la bagagerie solidaire du 14ème, souhaitait installer une petite cuisine sous l’escalier et avait besoin de finir la sécurisation de l’escalier par la mise en place d’un garde corps en bois le long de la première volée.
Description du chantier
Pour le garde corps, Marine de Grand 8 souhaitait réutiliser le parquet d’origine en point de Hongrie encore présent sur place. A cette fin, elle a réalisé des plans l’intégrant dans une structure que nous avons réalisé en sapin de réemploi provenant du démontage d’une construction en ossature bois. L’assemblage du cadre est réalisé avec des faux tenons collé. Une fois le cadre assemblé, nous avons encastré les lames de parquets recoupé sur mesure dans une rainure faite au préalable.
Les lames ont été corroyées (dégauchies puis rabotées) sur les deux faces pour s’assembler parfaitement. Pour gagner du temps les chants n’ont pas été dressés mais simplement délignés. Puis nous avons fait un léger chants frein pour masquer les joints imparfait des lames. Malgré l’important stock de parquet rapporté, nous avons été juste en bois car beaucoup de lames étaient trop dégradées pour être réutilisées. Nous devions à la fois laisser assez de bois sur la partie basse pour la fixation d’un radiateur mais également en partie haute pour respecter les normes d’espacement entre deux lisses pour un garde corps.
Pour la cuisine, les plans de pré-conception étaient également fait par Grand 8 et n’ont pas nécessité de grosses évolutions. L’enjeu était d’installer la cuisine sur une superposition de poutre au sol de hauteurs différentes. Nous avons opté pour la fabrication d’une plateforme sur laquelle viendraient nos éléments.
Initialement nous avions prévu d’acheter des caissons de cuisine sur des sites de dons ou revente. Mais, entre le coût des caissons, le coût de livraison, les enjeux de stockage dans notre atelier et les contraintes des poteaux de l’escalier, il est apparu plus opportun d’opté pour une fabrication maison des caissons. Cela a permis d’optimiser la fonctionnalité de la cuisine et de facilité la pose. Nous avons donc utilisé des grands panneaux de mélaminé de réemploi que nous avons débité et dont nous avons plaqué le chant vu pour la fabrication des caissons.
L’usage de mélaminé (même de réemploi) est plutôt une exception au sein de notre atelier tant nous n’avons pas de plaisir à travailler ce non bois. Pour autant l’idée fait son chemin de plus régulièrement y recourir car cette matière est présente en très grande quantité dans les matériaux issus de la déconstruction et malheureusement très peu valorisée. Affaire à suivre.
Pour les façades et l’habillage nous avons utilisé un stock de contre plaqué de sapin que nous avions récupéré lors d’un démontage de bureaux. Pour ces éléments en 19 mm et 10 mm d’épaisseur, la difficulté était de réunir quantité et qualité. Comme toujours avec le réemploi, le jeu consiste à trouver une disposition permettant de cacher les traces de la précédente vie. Exercice d’autant plus complexe avec des éléments non peint (ici application d’une huile dur écologique en 3 couches). Cela ajoute une contrainte car il est alors impossible de faire du rebouchage sans laisser une marque visible. En conséquence cela demande plus de temps pour la sélection des pièces, leur remise en état et cela génère plus de chutes.
Pour les autres éléments vues, dès le devis, nous avons proposé de recourir aux chutes de la découpe des marches balancé de l’escalier. Nous avons ainsi pu réaliser les poignées et les étagères, ainsi que l’alésage du plan de travail. Pour celui-ci, Grand 8 nous a proposé une finition carrelé qui avait l’avantage d’offrir une grande résistance pour cette cuisine partagée. La plan de travail est fait d’un assemblage de chutes d’atelier en aggloméré hydrofuge. Et nous avons proposé d’habiller les chants du plan de travail et de masquer ceux du carrelage avec du bois exotique également issu des chutes de l’escalier.
Quelques pistes de réflexions
L’engagement profond de Grand 8 pour le réemploi, la confiance des équipes de la bagagerie et l’expérience commune sur le chantier de l’escalier ont grandement facilité l’adaptation nécessaire à chaque étapes. Nous avons pu être sources de propositions et d’adaptation dès le devis. Par exemple, quand la quantité de lame de parquets exploitables a conduit à ajourer le garde corps plus que sur les plans cela a été possible. Mais aussi quand nous avons compris que nous ne serions pas dans les clous du devis avec des caissons du commerce en réemploi, il n’y a pas eu de soucis pour prendre une autre direction tout en respectant la logique du réemploi.
Ce chantier est intéressant autant pour son classicisme (un agencement comme beaucoup d’autres) que pour son jusqu’au boutisme en matière de réemploi. Les surprises et modifications en court de fabrication ne sont pas le propre des réalisations en réemploi. Les options de conception pour le garde corps et la cuisine sont assez classique pour des réalisations sur mesure.
Tout en fabriquant une simple cuisine, ce chantier illustre bien les enjeux du recours aux matériaux de réemploi. Une partie de ceux-ci (le parquet) était à récupérer sur place. Cela signifie qu’il y a un coût pour aller le récupérer et que celui-ci est répercuté sur notre devis et non sous traité à d’autres structures. De même pour le bois que nous avions dans nos stocks (panneaux de contreplaqué de sapin et bois massif résineux d’ossature). Il se trouve que ce bois vient du démontage de bureaux situé dans l’hôtel d’entreprise qui accueil notre atelier. Mais sa gestion et son stockage implique un sur coût en temps et en espace. A cela s’ajoute les surprises évoquées plus haut quand il s’agit d’avoir au moins une belle face sans rebouchage pour une réalisation huilé. Enfin le mélaminé utilisé pour les caissons a lui été récupéré par notre atelier via des entreprises (Muto et Re’UP) spécialisées dans la distribution de matériaux de réemploi.
Les coulisses du tiroirs, les pieds plastiques qui ont permis de faire le réglage du socle, les vis, clamex, lamelle d’assemblage et le chant PVC sont les seuls éléments neufs de ce projet. Et ce sont typiquement des matériaux dont nous sommes incapable de sourcer le parcours. Tous les autres, principalement du bois ou dérivé de bois, ont connu une précédente vie mais depuis qu’il ont été démonté et destiné au réemploi, il y a eu au maximum 3 intermédiaire (ici principalement 2, l’entreprise de démontage et nous) pour arriver à cette réalisation fini. De même pour les espaces géographique traversé par nos matériaux de réemploi. S’il ne faut pas minimiser les difficultés et le surcoût liés au réemploi, l’exemple présent illustre bien comment cela est également une opportunité pour relocaliser et se réapproprier les moyens de production tout en sortant de la logique extractiviste qu’implique l’utilisation de matériaux neufs. Cela permet de construire une alternative qui répond aux enjeux écologiques actuels.
Le réemploi a un coût dont une partie est atténuée par la matière récupérée gratuitement (hors transport). Hors, de plus en plus, l’organisation sous forme de marché conduit à voir passer des matériaux de déconstruction vendu. Cette drôle d’idée de créer une inversion où le coût du réemploi est à la charge de celleux qui vont la valoriser et non de celleux qui s’en débarrassent s’inscrit encore dans une logique de consommation. Et ça, c’est encore une vision très vingtième siècle des enjeux écologiques.